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Au Moyen Age, la plus grande partie du territoire est un espace rural avec ses villages et ses champs. Dans cet espace, les villes apparaissent comme des îles délimitées par des bornes, des fossés, des palissades et dans certains cas par des remparts.
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A. L’HABITAT.
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Maisons romanes.
Les maisons patriciennes en pierre, signe de richesse, côtoyent les maisons en bois. Les maisons n’étant pas construites par des architectes, on devait déplorer de nombreux effondrements.
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Maisons gothiques.
Pour montrer leur statut et leur pouvoir, les bourgeois construisent en hauteur.
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Van der Weyden, Triptyque. Détail, 1445- 1450.
La structure des maisons de commerce est toujours la même: à l’avant, la partie destinée à la vente; à l’arrière, l’atelier. Quant aux provisions, elles trouvaient place sous les toits.
La majorité des habitations n’a pas de vitre aux fenêtres, mais du parchemin huilé. Le verre n’apparaît aux fenêtres qu’au XIVème siècle sous forme de petits vitraux incolores entourés de lames de plomb et est très cher: le verre plat étant généralement obtenu par déroulement à chaud de cylindres soufflés que l’on déplie, les surfaces obtenues étaient nécessairement petites. Les fenêtres étaient fermées par des volets de bois très solides, parfois doubles.
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Van der Weyden, Saint Yves. Détail, 1450.
Les rues sont des ruelles sombres, sinueuses et malpropres:les immondices sont jetées dans les venelles et les animaux domestiques errants ajoutent à la puanteur du fumier et des boues partout présentes. Les détritus sont parfois emportés par les pluies vers l'Escaut.
B. LA LEGISLATION EN MATIERE D’ENTRETIEN DES RUES.
Ordonnances communales sur l'entretien de la voie publique (1279-1280).
Selon l'auteur tournaisien Bozière (1), les rues de Tournai, aux XIIIème- XVIème siècles, étroites, tortueuses et pleines d'immondices et de décombres, n'étaient qu'imparfaitement pavées et beaucoup même, d'après lui, ne l'étaient pas du tout ; il n'existait aucun aqueduc maçonné et couvert et les eaux pluviales s'écoulent par des fossés nommés warwandes , creusés au milieu de la voie publique. Parmi les mares infectes, les tas d'ordure et de fumier, des animaux divaguaient en grand nombre, cherchant leur pâture en toute liberté. Ce n'est que sur la fin du XIVème siècle que, d'après cet auteur, les rues devinrent moins malpropres par suite des règlements qui furent institués par le magistrat de Tournai.
En fait, l'image qui nous est présentée des rues de Tournai, sans être tout à fait inexacte, est toutefois fort exagérée, comme nous le montre un autre auteur, Soil de Moriamé. Se fondant sur des archives aujourd'hui disparues, celui-ci considère que les rues du coeur de Tournai avaient dû être pavées à une époque assez reculée, puisque celles que l'on pavait aux XIIIème et XIVème siècles étaient déjà assez éloignées du centre (2).
D'autre part, les extraits ci-dessous (3), nous prouvent que les magistrats de Tournai n'avaient effectivement pas attendu la fin du XIVème siècle pour veiller à l'entretien des rues, puisque ces extraits, transposés de l'ancien dialecte picard en français, proviennent de règlements communaux remontant aux années 1279-80.
« Que tous les maréchaux et tous les forgerons, qui ont travaux qui se situent sur le regiet (4) de la ville, à l'intérieur des murs et dehors, que chacun ait ôté ce qu'il y en a, avant 8 jours, sous (peine de) 100 sous ; ce fut crié le jour avant la nuit Saint Jehan décollasse (5), par un mardi.
Et que tous les tonneliers et tous les charrons désencombrent le regiet de la ville de leurs chars, de charrettes, de cuves, de cuvelles et de toutes les choses qui appartiennent à leur métier, sous (peine de) 100 sous, avant le troisième jour ; ce fut fait et crié le lendemain de la Saint Jehan décollasse par vendredi. Et qu'il ne soit personne qui entasse ni branches ni fagots dans les fossés de la ville, ni à 100 pieds près d'aucune maison de la ville, sous (peine de) 100 sous maximum.
Et qu'il ne soit aucun forgeron qui jette de l'écume de sa fournaise en la rue, sous (peine de) 100 sous, mais la fasse assembler et mener aux champs.
Et ainsi qu'il ne soit personne ne haus, ne bas (6), ni l'un, ni l'autre, qui devant sa maison jette ne tierre ne mierde ne escouville ne ordure (7), à moins qu'il ne le fasse assembler ou assemble en 1 mont et l'en fasse V «
(1) A. BOZIERE, Tournai ancien et moderne, Tournai, 1864, pp. 64-66.
(2) E. J. SOIL de MORIAME,L’habitation tournaisienne du Xle au XVIIIe siècle, Tournai, 1904, pp. 120-121.
(3) A.V.T., Registre de justice : ban de 1279-80. Détruit en 1940, édité dans : L. VERRIEST, Les registres de justice, dits registres de la loi, A.S.H.A.T., t. IX, 1905, pp. 353, 392, 393, 394, 399.
(4) Terrain vague, terre abandonnée, non cultivée, décharge publique.
(5) C'est-à-dire la décollation de saint Jean-Baptiste fêtée le 21 août.
(6) Ni haut ni bas équivalant de "ni grand ni petit".
(7) "ni terre, ni excréments, ni détritus, ni ordures".
Documents d'archives relatifs au Tournaisis, Dossier pédagogique, Bruxelles 1982.
C. LA LEGISLATION EN MATIERE D’Hygiène publique.
Avant 1401, à Tournai, on laissait errer les cochons sur la voie publique, comme les chiens de nos jours, et rares étaient les ménages qui n'en possédaient pas un ou deux pour se faire une provision de lard en hiver. Le séjour de ces animaux dans les villes, la malpropreté des rues, les maisons basses et humides, telles sont les principales causes de ces nombreuses épidémies qui ont affligé nos contrées au XIVème et au XVème siècles. Il est à remarquer que ce qui était permis alors aux cochons était sévèrement interdit aux chiens. Les Consaux, magistrats de la ville de Tournai, faisaient massacrer par un de leurs préposés, appelé Tuequien , tous les chiens qu'on trouvait errant en trop grand nombre sur la voie publique. Le texte ci-dessous, conservé dans sa forme première, est extrait d'une ordonnance édictée par le magistrat urbain le 12 avril 1401.
"Que il ne soit personne aucune qui, depuis le jourd huy en avant, ait pourchiaux alans par le ville sans warde, sur 10 livres et les pourchiaux perdre, lesquelz nous habandonnons à tous ceulx qui prendre les poront, desquelz le ville aura le moitié et ceulx qui les prendront l'autre. Et que nulz n'ait pourchiaux alans par le marquiet au grain en jour de marquiet, à warde ne sans warde, sur ledite gaine.
Qu'il ne soit personne aucune, quelle qu'elle soit, demeurant en nu justice sous le rivière d'Escaut, qui y ait ne tiengne pourchiaux ne truyes pour les y nourir ou encraissier, sous ledite pairie.
Que nuls boulenghiers ne autres ne puist avoir que deux pourchiaux en se maison, se il ne les fait aler au parquier, par jour, as camps, sur ledite pairie.
Qu'il ne soit nuls ne nulle qui dores en avant ait, dedens nouviaux murs de le ville, seuls de pourchiaux à loyer, ne ne herberghe pourchiaux en se maison, sur cent sous et les pourchiaux perdre."
TRADUCTION :
Que personne, à partir de ce jour, n'ait des cochons allant de par la ville, sans garde ; sinon, il paiera dix livres d'amende et perdra les cochons, que nous abandonnons à tous ceux qui pourront les prendre ; la ville en aura la moitié et ceux qui les prendront l'autre.
Et que nul n'ait des cochons allant par le marché au grain le jour du marché, gardés ou non, ou il subira la même peine.
Qu'il n'y ait aucune personne, quelle qu'elle soit, demeurant en notre justice sous la rivière d'Escaut, qui y possède ou tienne des cochons ou des truies pour les y nourrir ou engraisser, ou il subira la même peine
Aucun boulanger ou aucun autre ne peut avoir que deux cochons en sa maison, s'il ne les fait aller au porcher, le jour, aux champs, ou il subira la même peine.
Qu'il n'y ait personne qui ait dorénavant, à l'intérieur des nouveaux murs de la ville, des cochons à loger, seuls, ou qui héberge des cochons dans sa maison, sous peine de payer cent sous d'amende et de perdre les cochons.
D. LA LEGISLATION EN MATIERE DE LUTTE CONTRE L’INCENDIE.
"Hormis les églises et édifices d'utilité publique, tels que les hôtels de ville, les beffrois et les halles, pour lesquels les populations des villes médiévales réservaient les splendeurs de l'architecture, et les hôtels particuliers que de riches bourgeois se faisaient construire en briques et en pierres, la généralité des habitations consistait en maisons étroites et pressées les unes contre les autres, se composant de pans de bois, de clayonnage et d'argile, le tout assis sur un soubassement en blocaille et recouvert de chaume" (1).
"Tournai, comme toute ville du Moyen Age, comprenait un certain nombre de maisons de bois ou à pignon de bois. Ce nombre était peut-être moins élevé que dans d'autres cités du fait de la présence de carrières de pierre dans la région. Néanmoins, d'après Soil de Moriamé, qui se réfère à un relevé de maisons du début du XIVe siècle, la proportion des maisons de bois par rapport à celles de pierre était encore, à cette époque, d'environ 5/7" (2).
Aussi, la crainte des incendies incita-t-elle le magistrat à multiplier les mesures pour prévenir ou combattre les sinistres, lesquels semblaient assez fréquents si l'on s'en réfère aux multiples indications mentionnées dans les documents de l'époque, dont nous avons conservé la trace.
En 1394 déjà, les édiles communaux interdisaient de couvrir désormais les maisons et édifices autrement qu'en tuiles (3). Les extraits ci-dessous donnent une idée de la nature des règlements et publications que faisait proclamer la ville à propos des périls d'incendie.
Ordonnance préventive du Magistrat contre le péril d'incendie (1397, 13 avril).
"Que tous les chefs d'hôtel , de quelque condition qu’ils soient, mettent ou fassent mettre, aussitôt et sans délai, de l'eau à l'entrée de leurs portes sur chaussée, par tonneaux, par cuves ou autres récipients suffisant, lesquels doivent être tous plein d'eau et qu'ils y soient tenus durant le jour toute la journée, et durant la nuit, qu'ils soient dans leur hôtel à l'entrée de la porte, sous peine de 20 sous pour chaque fois qu'ils seront trouvés en faute, dont celui qui en fera rapport aura la moitié et la ville l'autre.
Que tous les connétables fassent, aussitôt et sans délai, mettre à chaque puits de leur connétablie plusieurs cuves et récipients qui doivent être et demeurer tous plein d'eau, le jour et la nuit, sous la dite peine et selon la condition dessus dite.
Item, que tous les dits connétables fassent mettre et dresser hors des vieux murs, en chacune de leurs connétablies, trois échelles suffisantes contre les maisons, pour y être et demeurer le jour et la nuit, sous la dite peine et à lever comme dessus (dit).
Item, que tous les dits connétables fassent dorénavant veiller par nuit deux personnes de leur connétablie, à une lanterne chacun, lesquelles deux personnes feront le guet toute la nuit sur la chaussée en leur connétablie et non ailleurs, pour obvier au péril du feu, sous la dite peine à lever comme dessus.
Item, qu'il ne soit personne qui, aux dites échelles, cuves, cuvelles ou récipients, fasse aucune détérioration ni n'y mette la main, de jour ou de nuit, pour les détériorer, ni ne coupe corde de puits, ni ne vide les tonneaux ou récipients dessus dits, sous peine d'être banni pour toujours de la ville et juridiction de Tournai, comme mauvaix.
Et il est à savoir que si, par la négligence ... des héritiers ou chefs d'hôtel de la ville ou banlieue, aucun feu se prenait en quelqu'une des dites maisons, ils seront bannis à 10 livres et punis au surplus à la discrétion des prévôts et jurés, de telle façon que tout autre y prendra exemple."
(1) A. BOZIERE, Tournai ancien et moderne, Tournai, 1864, pp. 68 et 69.
(2) E.J. SOIL de MORIALME,1. Habitation tournaisienne du XIe au XVIIIe siècle, Tournai, 1904, pp. 113, 154.
(3) A.V.T., Registre des Consaux, ordonnance de 1396. Détruit en 1940. Mentionné dans H. VANDENBROECK, Extraits analytiques des anciens registres des Consaux de la ville de Tournai (1385-1422), tome I, Tournai, 1861, p.18.