QUELQUES REFLEXIONS SUR CES DEUX NOTIONS.
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1. Synthèse de la conférence du professeur Claude JAVEAU de l’Université Libre de Bruxelles.
a. Y a-t-il corrélation entre pouvoir et autorité ?
b. Qui détient le pouvoir dans un état ?
c. Comment persuader les électeurs de voter pour tel ou tel candidat?
2. Quelques réflexions complémentaires sur les thèmes du pouvoir et de l’autorité.
a. Le désintérêt croissant des citoyens pour le débat politique.
b. La notion de pouvoir.
c. L’autorité, une caractéristique personnelle liée au charisme de l’individu ?
d. La notion d’autorité évolue avec la société.
e. Toutes les institutions de notre société sont-elles victimes de cette perte d’autori
LA CONFERENCE DU PROFESSEUR CLAUDE JAVEAU.
Le 10 février 2004, Monsieur Claude JAVEAU, professeur à la faculté de Sociologie de l’Université Libre de Bruxelles, a tenu devant les élèves de 5ème et 6ème années option sciences sociales de notre école une conférence sur le thème du pouvoir.
Voici, avec l’accord du professeur Claude JAVEAU, une synthèse de cette conférence. Pour faciliter la compréhension du texte, l’exposé a été divisé en chapitres et les sous-titres ont été rédigés par les auteurs de la synthèse.
Y A-T-IL CORRELATION ENTRE POUVOIR ET AUTORITE ?
Selon le professeur Claude Javeau, il faut distinguer pouvoir et autorité : le pouvoir est une question de place de l’individu dans une structure, un appareil, tandis que l’autorité peut relever du charisme personnel, voire reposer sur la menace ou la corruption. Détenir le pouvoir ne confère pas toujours de l’autorité et avoir de l’autorité ne signifie pas toujours détenir le pouvoir. Ainsi, tel présentateur de journal télévisé peut disposer d’une certaine autorité sur les téléspectateurs grâce à son charisme tout en ne détenant pas un grand pouvoir dans l’entreprise qui l’occupe.
QUI DETIENT LE POUVOIR DANS UN ETAT ?
Dans une dictature, le pouvoir est concentré dans les mains d’un petit groupe. Il s’impose aux citoyens qui n’ont qu’à obéir et s’appuie sur les forces de l’ordre et la délation: les citoyens se surveillent les uns les autres.
Dans un régime oligarchique ou semi-dictature, plusieurs groupes se partagent le pouvoir en essayant de trouver un équilibre entre eux.
Dans une démocratie, par contre, tous les pouvoirs émanent du peuple qui est souverain. En Belgique, par exemple, le roi n’est pas souverain puisqu’il prête serment de fidélité aux lois du peuple belge.
Le peuple est un ensemble de citoyens libres et égaux qui tous à partir de l’âge de 18 ans élisent des représentants qui exerceront le pouvoir en leur nom: chaque voix a la même valeur et les représentants appartiennent à des partis différents.
Cette diversité des partis politiques est indispensable en démocratie, car elle en constitue l’ossature.
Le principe fondamental d’une
démocratie est le débat. Ce
débat est tantôt interne à chaque parti notamment lorsqu’il s’agit de
fixer le programme qui sera présenté aux électeurs, tantôt externe lorsqu'il
concerne les divers partis et a pour cadre les chambres (députés ou
sénateurs) ou un conseil communal.
Sauf dans des cas exceptionnels, les débats sont publics: toute personne
peut y assister. Le pouvoir est donc exercé sous la surveillance des citoyens.
COMMENT PERSUADER LES ELECTEURS DE VOTER POUR TEL OU TEL CANDIDAT?
Pour accéder au pouvoir, les partis
doivent persuader un maximum de citoyens de la qualité de leurs programmes et
de leurs candidats. En effet, les citoyens votent par priorité pour des
personnes et certaines sont des championnes des voix de préférence.
Dès lors, il est intéressant de déterminer quelles techniques sont le
plus souvent utilisées pour conquérir l'opinion des citoyens.
La première technique consiste dans l'argumentation. Si le
programme des partis est analysé, commenté le plus souvent par des experts, il
l'est aussi parfois par des leaders d'opinion qui ne sont pas nécessairement
qualifiés comme des vedettes, des artistes connus.
Une deuxième technique consiste à exploiter la personnalisation.
L'image d'un parti est identifiée à des personnalités connues, politiques ou
non, susceptibles d'attirer les voix des électeurs. C'est ainsi que l'on voit
des personnalités connues par leurs activités dans d'autres domaines comme le
sport, le show business, l'entreprise subitement se lancer dans la politique
pour une durée plus ou moins longue. On joue aussi sur le physique des
candidats ou sur l'hérédité: tel candidat est le fils de telle
personnalité connue.
Une troisième technique consiste dans l'utilisation de slogans de
type publicitaire qui ne veulent rien dire mais frappent l'opinion: «la
force tranquille» , «changer la vie» ...
Enfin, s'il y a de moins en moins de meetings, il y a de plus en plus de débats
télévisés présentés comme des spectacles auxquels les hommes politiques
se doivent de participer. Cette fois, pour séduire les citoyens, il faut
respecter certaines règles qu'évoque Gabriel Thoveron dans son livre La
Marchandisation de la politique: du débat à la communication paru aux
éditions Labor en 2003: être photogénique, avoir une belle apparence, ne pas
porter de vêtements aux couleurs agressives, s'exprimer facilement et
brièvement tout en répétant souvent des idées simples. Peu importe alors
la qualité de ce qui est dit, l'homme politique doit amuser pour convaincre.
Peut-on encore parler dans ce cas de réel débat?
QUELQUES REFLEXIONS COMPLEMENTAIRES SUR LES THEMES DU POUVOIR ET DE L'AUTORITE.
La conférence du professeur Claude Javeau a suscité chez les élèves nombre de réflexions et soulevé quelques questions dont voici les principales.
- LE DESINTERET CROISSANT DES CITOYENS POUR LE DEBAT POLITIQUE.
Les jeunes estiment que dans nos démocraties il y a un désintérêt croissant des citoyens pour le débat politique.
Serait-ce dû au sentiment que les hommes politiques ne détiennent pas le réel pouvoir? Il est vrai que les politiciens affirment eux-mêmes qu'il faut être pragmatique et se soumettre à la logique économique, admettant ainsi qu'ils ne disposent que d'un pouvoir à la marge.
Ou bien, le désintérêt pour la chose publique (res publica) serait-il une conséquence des travers de la communication médiatique utilisée par les hommes politiques, le débat politique étant présenté comme un spectacle?
Ce désintérêt ne serait-il pas plutôt fondamentalement le reflet de la diminution de l'importance accordée au champ politique dans nos sociétés?
La question reste ouverte.
- LA NOTION DE POUVOIR.
Le professeur Claude JAVEAU définit le pouvoir comme une structure, un appareil déterminé. Ne pourrait-on pas préciser cette définition en disant que le pouvoir est un ensemble de processus d'interactions entre les individus au sein d'une communauté donnée, suivant en cela le politologue américain Robert DAHL pour qui '' A exerce du pouvoir sur B dans la mesure où il obtient de B une action y que ce dernier n'aurait pas effectuée autrement ''? Dans cette perspective, le pouvoir consisterait en la faculté d'obtenir d'acteurs sociaux (individus, groupes, classes sociales…) des comportements, des actions, voire des conceptions que ceux-ci n'auraient pas eus sans l'intervention de celui qui le détient?
Le pouvoir est souvent associé aux notions de force, voire de domination. En fait, pour se maintenir, le pouvoir a besoin de la reconnaissance de sa légitimité par les subordonnés.
D'autre part, considérer le pouvoir comme une structure claire établie officiellement n'est-il pas réducteur? A l'instar de la critique marxiste, ne pourrait-on pas mettre en évidence l'existence d'un pouvoir économique sous-jacent qui ne dispose pourtant pas officiellement du pouvoir dans une structure proclamée ?
- L'AUTORITE, UNE CARACTERISTIQUE PERSONELLE LIEE AU CHARISME DE L'INDIVIDU ?
L'autorité est-elle vraiment une question de charisme personnel? Ne s'inscrit-elle pas plutôt dans un contexte sociologique donné où certains codes sont respectés parce qu'ils correspondent notamment à la hiérarchie des valeurs du moment dans un groupe social donné?
Ainsi, dans la famille moderne, si le père a subitement perdu de son autorité, est-ce suite à une perte de son charisme? De même, à l'école, si les professeurs rencontrent désormais plus souvent des problèmes d'autorité, est-ce leur personnalité qui pose problème? Est-ce parce que, contrairement à certains héros de séries télévisées comme '' L'Instit '', ils ne sont pas capables de faire face à toutes les situations? Cette perte d'autorité ne serait-elle pas plutôt due à un changement de contexte sociologique, à une véritable révolution des moeurs?
- LA NOTION D'AUTORITE EVOLUE AVEC LA SOCIETE.
Dans le dossier ''Autorité: de la hiérarchie à la négociation'' paru dans le numéro 117 (juin 2001) de la revue Sciences Humaines, Jean-Claude RUANO-BORBALAN présente une évolution globale de la notion d'autorité dans nos sociétés.
Il y reprend notamment la thèse du juriste Jean de MUNCK développée dans ''Les Métamorphoses de l'autorité'' (paru dans la revue Autrement, numéro 198) selon laquelle nous serions passés d'une société industrielle basée sur une ''autorité rationnelle légale'' à une société post-industrielle où prévaut une ''autorité rationnelle négociée''.
Décrivant l'''autorité rationnelle légale'', Max WEBER (1864-1920) dit qu'il s'agit d'une autorité fondée sur la validité des lois, une autorité qui découle naturellement du statut ou de la position professionnelle de l'individu. En effet, jusque dans les années 1960, on trouvait normal d'obéir aux injonctions d'un chef parce que cette personne occupait une position hiérarchique supérieure et que le règlement prévoyait une obéissance stricte. Dans les écoles, il allait de soi que les élèves obéissent aux professeurs. Cette attitude se retrouvait dans d'autres institutions de base comme la famille ou l'église.
Dans nos sociétés post-industrielles, nous serions passés d'une autorité hiérarchique à une autorité négociée. L'autorité du professeur n'est plus acceptée automatiquement par les élèves comme légitime: le professeur doit désormais négocier avec les élèves, faire preuve de compétences et de justice. Il en va de même dans les familles. En effet, si selon Jean de MUNCK, l'''autorité rationnelle légale'' supposait que les acteurs subordonnés sont dénués de savoir contrairement aux détenteurs du pouvoir, l'''autorité rationnelle négociée'' suppose des savoirs et des compétences mieux partagés entre les acteurs sociaux qu'ils soient subordonnés ou détenteurs du pouvoir. Le fonctionnement de nos sociétés actuelles reposerait sur le principe du contrat admis par les diverses parties, ce qui révélerait une avancée de l'idéal démocratique. Il y aurait de moins en moins de hiérarchies imposées et nous serions de plus en plus acteurs de notre destin. Il est à noter que les courants actuels dominants en sociologie mettent l'accent sur la liberté des acteurs plus que sur les déterminants de leurs actions.
Est-il vrai dès lors que nos sociétés sont de moins en moins inégalitaires? N'y a-t-il pas au contraire plus de hiérarchie? Dans les grandes entreprises modernes par exemple, il est de bon ton de gommer les différences de grades, de niveau de responsabilité des agents qui y travaillent, notamment en pratiquant le tutoiement. On crée ainsi chez tous les agents l'illusion d'être des associés à part égale poursuivant des objectifs définis d'un commun accord et d'appartenir à une grande famille. En fait, l'inégalité des positions sociales des différents agents subsiste: la possession du capital, la différence de niveau des revenus ou des compétences permettent à certains d'imposer leur volonté à ceux qui ne disposent pas de ces ressources. De même, le contrat de travail associe un demandeur d'emploi à un employeur qui peut effectuer un choix entre divers postulants. Dès lors, masquer les rapports de pouvoir, n'est-ce pas une technique pour conforter l'autorité de ceux qui la détiennent ?
- TOUTES LES INSTITUTIONS DE NOTRE SOCIETE SONT-ELLES VICTIMES DE CETTE PERTE D'AUTORITE ?
La perte d'autorité ne serait-elle pas plutôt le fait d'institutions en déclin dans la structure macrosociologique du pouvoir (la famille, l'école, l'église, l'Etat, les partis politiques), tandis que les institutions montantes - c'est-à-dire celles qui ont de plus en plus d'influence sur la société comme l'entreprise, les médias - pourraient au contraire connaître un renforcement de leur autorité? Ne considère-t-on pas comme légitime la critique selon laquelle l'école ne correspond pas aux attentes de l'entreprise? N'y a-t-il pas fondamentalement un changement de hiérarchie de pouvoir entre les institutions de notre société qui déteint sur l'autorité des acteurs de ces institutions ?